Aujourd'hui le Musée de Charlevoix inaugure une exposition sur les années hippies dans Charlevoix. Un grand nombre de ces nouveaux arrivants velus des années 70 a été et est encore mes ami-e-s. Une espèce de choc des cultures en même temps qu'un amalgame des philosophies s'est produit entre ces jeunes urbains idéalistes et les jeunes Charlevoisiens de souche comme moi. Des lieux étaient aussi le théâtre de ces rencontres multiculturelles non internationales. Les plus célèbres ont été le Balcon vert et le Mouton Noir. On pouvait y rencontrer les plus créatifs comme Guy Laliberté, Gilles Sainte-Croix et Richard Bouthillier qui seront à l’origine des Échassiers de la Baie et éventuellement du Cirque du Soleil. Les hippies avaient probablement un fond de buisnessman si on se fie à ce qu’ils ont fait par la suite. Dans l’est, la mouvance hippie avait deux terrains de prédilection, Saint-Irénée et son auberge exploitée par le très barbu René Veilleux, la commune du rang Saint-Nicolas et le Pied des Monts. Il y avait un véritable esprit de retour à la terre dans ce groupe de chevelus avec des tendances au théâtre et à la musique. Un des plus typiques représentants du mouvement est mon grand ami Charles Roberge. La maison ronde qu’il a construite dans le rang des colons à Saint-Aimé-des-Lacs témoigne encore aujourd’hui de cette avec quelques améliorations techniques, mais quand même encore limitées. Pas de réseau d’Hydro Québec, mais des panneaux solaires et dans le pire des cas une génératrice. Par contre, internet y a fait sa place. Si d’aventure la fin du monde arrivait, j’irais chez mes amis Charles et Johanne pour y trouver un refuge autosuffisant. Charlevoix a une grande dette envers Charles, si le Parc des Hautes Gorges existe aujourd’hui c’est grâce à la vision et à la persévérance de mon ami qui dès le début des années 80 militait pour la création d’un parc national.
Il y avait aussi une branche agricole à Sainte-Agnès dans le Ruisseau des Frênes et le rang Saint-Jean-Baptiste. Le plus célèbre est Marc Bérubé qui était à l’époque le beau-frère de Charles Roberge. Depuis son arrivée, il cultive sans relâche son lopin de terre dans le biologique. Arrivé jeune, il est aujourd’hui septuagénaire.
Anne-Marie Hamel, tisserande, a pris racine en perpétuant les techniques de tissage de nos grand-mères et joue un rôle actif dans la communauté des métiers d’art de la région. On peut la qualifier de pionnière qui peut inspirer les plus jeunes à la préservation des traditions artistiques.
Mon amie Jane Tonge, une des seules Britanniques de Charlevoix et mon chum Daniel Headrick étaient et sont peut-être encore deux hippies anglophones. Jane est sage-femme et d’une gentillesse exceptionnelle et Daniel est un prospecteur musicien, qui, au début vivait dans une maison presque sans aucune commodité dans le rang du Remous à Saint-Fidèle.
Robert Marion et son épouse Juliette de la mouvance du pied des monts ont fondé une famille. Je me suis fait raconter que lors d’un party costumé à Baie-Saint-Paul, sur le chemin du retour, Robert s’était fait intercepter par la police alors qu’il était vécu d’un tutu rose.
Mon hippie préféré fut mon grand ami de plusieurs décennies, Francis Baillargeon. Tout un personnage, un passionné de la mer. Habitant de la rue du quai de Pointe-au-Pic très tôt après sa période hippie, on le surnommait le maire du quai en raison de ses positions colorées sur le développement du quai. Pendant un certain temps, Francis et un certain nombre d’autres amis possédaient des voiliers à la marina de Cap-à-l’Aigle, une forme nautique de la vie nomade des hippies. Francis nous racontait plein d’histoires de la période hippie de Saint-Irénée alors qu’il faisait partie de la Vraie Fanfare Fuckée qui faisait de la tournée en charrette à cheval sur les routes du Québec. Lors d’un spectacle de Jim Corcoran, à la commune on lui avait servi du gâteau avec un ingrédient secret. On dit que la prestation de Jim fut un peu fucké comme la fanfare.
Des gens connus s’étaient établis en commune dans la région comme Pierre Vallières, auteur de nègre blanc d’Amérique ou Dominique Payette, fille de Lisa, qui a par la suite fait carrière à Radio Canada.
Certains hippies n’ont fait que passer sans laisser de traces permanentes. Mais on peut remercier le ciel pour ceux et celles qui sont restés. Leur apport est majeur et Charlevoix serait différent s’ils n’avaient pas été là. Ils ont apporté de la diversité et de nouvelles idées qui ont amené une partie de Charlevoix ailleurs. Mais pour moi le plus beau c’est qu’ils sont devenus mes amis et ils ont embelli ma vie. Je suis heureux de compter encore sur leurs présences même si mon plus vieux chum, Francis est parti. Je me souviendrai toujours du capitaine pas de bateau avec son scooter rose.
Claude Harvey