Gabriel Djankou Nkuissi: le fou de Nkongsamba
Mar. 3 novembre 2020 6 minutes
La ville de Nkongsamba est située dans la province du littoral au Cameroun dans une région montagneuse. J'ai la chance de m'y rendre 2 fois dont la dernière avec le communicateur bien connu Marc Larouche. Gabriel est mon ami depuis 10 ans. Nous nous sommes connus parce qu'il a fondé une école d'enseignement supérieur dans sa ville et que plusieurs de ses étudiants et étudiantes sont venus et viennent toujours étudier au Cégep de La Pocatière et à Jonquière et Chicoutimi. Gaby, comme je l'appelle, a fait carrière à l'ONU et est revenu dans sa ville natale pour participer à son développement. Histoire d'un Africain du 21è siècle qu'on appelle le fou parce qu'il brise toutes les barrières pour faire entrer Nkongsamba de plain-pied dans la modernité en combattant la pauvreté par l'éducation. Revenons au début.
Son père était vendeur de Toyota, mais Gaby grandit plus chez ses grands-parents dans une petite maison que j'ai visitée. Il a un oncle célèbre, Thomas Nkuissi qui est évèque de Nkongsamba. C'est un rebelle qui résiste à une église qui ne tient pas compte de la culture camerounaise qu'il défend chèrement. La famille souhaite que le petit Gaby suive les races de cet homme important (on baise encore la bague des évêques au Cameroun) et qu'il devienne prêtre. Il va donc étudier au séminaire, mais il se fait jeter dehors pour sorties nocturnes chroniques. Il est un excellent joueur de foot qui officie à l'avant-centre. Il joue dans plusieurs clubs de bons niveaux, mais met plutôt l'accent sur les études à l'Université de Yaoundé (la capitale). Il se forme en droit international au premier cycle et part en France pour faire sa maîtrise, plus précisément à Lyon. Ne provenant pas d'une famille riche, il doit bûcher fort et travailler au McDonald entre autres, pour subvenir à ses besoins. Il était logé à 15 kilomètres de l'université, le matin sans bus, comme il était en forme il courait la distance pour aller suivre ses cours, le soir il revenait en autobus.
Il va faire une partie du doctorat à Genève et il est embauché à l'Organisation des Nations Unies au sein du Bureau international du travail, étant donné sa formation juridique. Il se marie à 27 ans avec Marci Raoul, une Camerounaise également. Sa première affectation est à Abidjan en Côte d'Ivoire en 1993. Deux ans plus tard, il est envoyé au Costa Rica ou il couvre toute l'Amérique centrale et du sud et le Mexique. Il a compétence sur les peuples indigènes pour s'assurer qu'ils aient des conditions de travail décentes. Dans sa carrière, il a visité entre 100 et 120 pays. Retour à Genève en 1999 et une nouvelle fois à Abidjan où fait la promotion des droits des travailleurs pour toute l'Afrique francophone. Il aura ensuite une longue affectation de 7 ans à Madagascar en tant que direction adjointe et directeur par intérim pour Bureau international du Travail pour l'océan Indien.
Au fil des années il ressent de plus en plus fort l'appel d'un retour dans sa ville natale devenue très dévitalisée en raison de l'effondrement des cours du café. Cette industrie fournissait des milliers d'emplois aux Sambalais. Modestes, certes mai qui permettaient de manger. Tout ça est pratiquement disparu à part un ami nommé Aimé qui a repris une usine et qui produit le merveilleux café Ménage à Trois.
Gaby est convaincu que c'est par l'éducation que Nkongsamba pourra se relever. En 2007, il fonde l'Institut supérieur de Management du Manengouba (ISMAM). Il installe les locaux dans une vieille usine de café pas mal délabré au début. Il a l'ambition de faire de son patelin de 250 000 habitants, une ville universitaire. Il proclame la renaissance prochaine de Nkongsamba en affirmant qu'il en fera la Silicon Valley du Cameroun. C'est là que les gens commencent à le prendre pour un fou. Il dérange certains politiciens qui craignent qu'il ait des ambitions politiques. En quelques années, il fait l'objet de 7 ou 8 cambriolages dans sa maison, qui est l'ancien domicile d'un grand caféier français.
La première année il y a 13 étudiants. En 2010, il vient au Québec et comme directeur du Cégep de La Pocatière, je signe une entente de collaboration avec et le Cégep de Jonquière. Des étudiants québécois se rendent là-bas et plusieurs ismamiens viennent étudier dans nos cégeps. L'an dernier il y avait 300 étudiants d'une quinzaine de pays d'Afrique à l'ISMAM.
Mais s'il n'était pas assez fou, il fonde une station de radio qui s'appelle Nkongsamba FM l'Echo des Montagnes. Dans un pays où le même parti est au pouvoir depuis 40 ans et où Paul Biya le président est inamovible, les radios sont souvent alignées sur un discours spécifique. Ce n'est pas le cas de cette radio qui donne toute liberté à ses animateurs et qui donne la parole aux gens du peuple. La radio emploie une quinzaine de personnes, la plupart des anciens étudiants de l'ISMAM en journalisme. On a tenté à plusieurs reprises de fermer la radio. Cela attire certains ennuis à Gaby, mais il suit toujours le but qu'il s'est tracé de réveiller sa ville endormie et la mener sur la route du développement.
En 2014, il prend sa retraite définitive de l'ONU et revient à plein temps à Nkongsamba. Et il se lance dans une nouvelle nature. Il acquiert 30 hectares de terrain ou se situe, vous l'aurez deviné, une ancienne usine de café. Et il met sur pied son projet de la Nlonako Valley qui se veut le lieu où il veut développer la Silicon Valley du Cameroun. Il y démarre des formations techniques agricoles et forestières basées sur la pratique puisque chaque étudiant a son lopin de terre à cultiver, ils sont aujourd'hui 200 étudiants. Il fait des ententes avec des universités pour dispenser des programmes universitaires dans sa ville. Depuis deux ans il a intégré un programme professionnel de niveau secondaire. Il s'inspire de ce qu'il voit au Québec, entre autres, pour développer ses écoles. Il dirige 102 employés à temps partiel et temps plein.
[caption id="attachment_76550" align="alignnone" width="1024"] Gaby avec le président du Cameroun Paul Biya.[/caption]
Son prochain rêve de fou est de construire une résidence universitaire sur les lieux de la Nlonako à l'ombre du mont Manengouba. Gaby invite les Québécois à venir faire un an d'étude ou plus au Cameroun en inversant le pipeline qui va toujours du sud au nord. Les frais de scolarité sont de 1000$ pour un an et le coût de la vie est incroyablement abordable.
[caption id="attachment_76551" align="alignnone" width="1024"] Les étudiants en sortie scolaire au mont Manengouba.[/caption]
Le fou de Nkongsamba poursuit son chemin. Lorsque j'étudiais à l'université Laval j'avais appris que les Camerounais de l'ethnie bamilékés étaient les meilleurs entrepreneurs de toute l'Afrique. Je ne suis pas sûr de l'ethnie de Gaby, mais une chose est certaine, c'est tout un entrepreneur et un grand promoteur de la nouvelle jeunesse africaine, allumée, brillante et désireuse de sortir du marasme où ils sont plongés par des décennies de colonisation et de déficit démocratique. Avec un fou comme Gaby, les choses avancent et l'Afrique peut espérer si d'autres comme lui mettent l'éducation devant comme facteur de progrès.
Son père était vendeur de Toyota, mais Gaby grandit plus chez ses grands-parents dans une petite maison que j'ai visitée. Il a un oncle célèbre, Thomas Nkuissi qui est évèque de Nkongsamba. C'est un rebelle qui résiste à une église qui ne tient pas compte de la culture camerounaise qu'il défend chèrement. La famille souhaite que le petit Gaby suive les races de cet homme important (on baise encore la bague des évêques au Cameroun) et qu'il devienne prêtre. Il va donc étudier au séminaire, mais il se fait jeter dehors pour sorties nocturnes chroniques. Il est un excellent joueur de foot qui officie à l'avant-centre. Il joue dans plusieurs clubs de bons niveaux, mais met plutôt l'accent sur les études à l'Université de Yaoundé (la capitale). Il se forme en droit international au premier cycle et part en France pour faire sa maîtrise, plus précisément à Lyon. Ne provenant pas d'une famille riche, il doit bûcher fort et travailler au McDonald entre autres, pour subvenir à ses besoins. Il était logé à 15 kilomètres de l'université, le matin sans bus, comme il était en forme il courait la distance pour aller suivre ses cours, le soir il revenait en autobus.
Il va faire une partie du doctorat à Genève et il est embauché à l'Organisation des Nations Unies au sein du Bureau international du travail, étant donné sa formation juridique. Il se marie à 27 ans avec Marci Raoul, une Camerounaise également. Sa première affectation est à Abidjan en Côte d'Ivoire en 1993. Deux ans plus tard, il est envoyé au Costa Rica ou il couvre toute l'Amérique centrale et du sud et le Mexique. Il a compétence sur les peuples indigènes pour s'assurer qu'ils aient des conditions de travail décentes. Dans sa carrière, il a visité entre 100 et 120 pays. Retour à Genève en 1999 et une nouvelle fois à Abidjan où fait la promotion des droits des travailleurs pour toute l'Afrique francophone. Il aura ensuite une longue affectation de 7 ans à Madagascar en tant que direction adjointe et directeur par intérim pour Bureau international du Travail pour l'océan Indien.
Au fil des années il ressent de plus en plus fort l'appel d'un retour dans sa ville natale devenue très dévitalisée en raison de l'effondrement des cours du café. Cette industrie fournissait des milliers d'emplois aux Sambalais. Modestes, certes mai qui permettaient de manger. Tout ça est pratiquement disparu à part un ami nommé Aimé qui a repris une usine et qui produit le merveilleux café Ménage à Trois.
Gaby est convaincu que c'est par l'éducation que Nkongsamba pourra se relever. En 2007, il fonde l'Institut supérieur de Management du Manengouba (ISMAM). Il installe les locaux dans une vieille usine de café pas mal délabré au début. Il a l'ambition de faire de son patelin de 250 000 habitants, une ville universitaire. Il proclame la renaissance prochaine de Nkongsamba en affirmant qu'il en fera la Silicon Valley du Cameroun. C'est là que les gens commencent à le prendre pour un fou. Il dérange certains politiciens qui craignent qu'il ait des ambitions politiques. En quelques années, il fait l'objet de 7 ou 8 cambriolages dans sa maison, qui est l'ancien domicile d'un grand caféier français.
La première année il y a 13 étudiants. En 2010, il vient au Québec et comme directeur du Cégep de La Pocatière, je signe une entente de collaboration avec et le Cégep de Jonquière. Des étudiants québécois se rendent là-bas et plusieurs ismamiens viennent étudier dans nos cégeps. L'an dernier il y avait 300 étudiants d'une quinzaine de pays d'Afrique à l'ISMAM.
Mais s'il n'était pas assez fou, il fonde une station de radio qui s'appelle Nkongsamba FM l'Echo des Montagnes. Dans un pays où le même parti est au pouvoir depuis 40 ans et où Paul Biya le président est inamovible, les radios sont souvent alignées sur un discours spécifique. Ce n'est pas le cas de cette radio qui donne toute liberté à ses animateurs et qui donne la parole aux gens du peuple. La radio emploie une quinzaine de personnes, la plupart des anciens étudiants de l'ISMAM en journalisme. On a tenté à plusieurs reprises de fermer la radio. Cela attire certains ennuis à Gaby, mais il suit toujours le but qu'il s'est tracé de réveiller sa ville endormie et la mener sur la route du développement.
En 2014, il prend sa retraite définitive de l'ONU et revient à plein temps à Nkongsamba. Et il se lance dans une nouvelle nature. Il acquiert 30 hectares de terrain ou se situe, vous l'aurez deviné, une ancienne usine de café. Et il met sur pied son projet de la Nlonako Valley qui se veut le lieu où il veut développer la Silicon Valley du Cameroun. Il y démarre des formations techniques agricoles et forestières basées sur la pratique puisque chaque étudiant a son lopin de terre à cultiver, ils sont aujourd'hui 200 étudiants. Il fait des ententes avec des universités pour dispenser des programmes universitaires dans sa ville. Depuis deux ans il a intégré un programme professionnel de niveau secondaire. Il s'inspire de ce qu'il voit au Québec, entre autres, pour développer ses écoles. Il dirige 102 employés à temps partiel et temps plein.
[caption id="attachment_76550" align="alignnone" width="1024"] Gaby avec le président du Cameroun Paul Biya.[/caption]
Son prochain rêve de fou est de construire une résidence universitaire sur les lieux de la Nlonako à l'ombre du mont Manengouba. Gaby invite les Québécois à venir faire un an d'étude ou plus au Cameroun en inversant le pipeline qui va toujours du sud au nord. Les frais de scolarité sont de 1000$ pour un an et le coût de la vie est incroyablement abordable.
[caption id="attachment_76551" align="alignnone" width="1024"] Les étudiants en sortie scolaire au mont Manengouba.[/caption]
Le fou de Nkongsamba poursuit son chemin. Lorsque j'étudiais à l'université Laval j'avais appris que les Camerounais de l'ethnie bamilékés étaient les meilleurs entrepreneurs de toute l'Afrique. Je ne suis pas sûr de l'ethnie de Gaby, mais une chose est certaine, c'est tout un entrepreneur et un grand promoteur de la nouvelle jeunesse africaine, allumée, brillante et désireuse de sortir du marasme où ils sont plongés par des décennies de colonisation et de déficit démocratique. Avec un fou comme Gaby, les choses avancent et l'Afrique peut espérer si d'autres comme lui mettent l'éducation devant comme facteur de progrès.