Les fous su' Aline!

Jeu. 22 août 2019 4 minutes

Les fous su' Aline!
Les fous su' Aline!
Au moment où un documentaire sur l'autisme est en ondes à TVA, cela me ramène avec mon enfance à Pointe-au-Pic. Madame Aline Vachon tenait maison et prenait soin d'une dizaine de personnes classées comme handicapées mentaux. A l’époque du non politiquement correct, on les appelait les « fous su'Aline » expression héritée de nos parents et grands-parents. Il y avait un certain nombre de maisons comme celle-là dans Charlevoix et surtout l'hospice Saint-Anne de Baie-Saint-Paul comme on l'appelait à l'époque où il y a eu jusqu'à 700 hospitalisés, d'abord sous la responsabilité des Petites Franciscaines de Marie et ensuite de l’état.

Mais curieusement, le plus célèbre handicapé mental de Charlevoix n'a jamais existé et j'ai nommé le bien connu Ti-Coune.

Il a tellement marqué les esprits que beaucoup de gens se traitent de « Ti-Coune » pour qualifier quelqu'un « de pas dégourdi ». Mais le Ti-Coune de la télé ne ressemblait pas aux fous su'Aline ou aux quelques pensionnaires de l'hôpital que j'ai pu connaître. Dès le plus jeune âge, nous partagions la rue et les petits restos avec les supposés déficients. D'abord, plusieurs d'entre eux étaient des orphelins de Duplessis, comme Floribert, Langis et Bernardin Fleury. Ces derniers, placés à tort dans des ghettos sanitaires, manquaient de stimulation intellectuelle. Fleury a gagné sa vie à la buanderie du Manoir Richelieu. Floribert a écrit au moins un livre sur sa condition d'orphelin de Duplessis.

Bien sûr, il y en avait plusieurs qui souffraient d'un retard mental, mais ils ont fait partie du paysage de vie de plusieurs Charlevoisiens dès leur plus jeune âge.

Il y avait des originaux comme le Jaune à Baie-Saint-Paul et le rouge à La Malbaie. Les jumeaux Duguay avaient chacun leur personnalité. C'était des sportifs qui pratiquaient le karaté et nous servions parfois de point de mire pour pratiquer leurs katas. Originaires de Rivière-au-Tonnerre sur la Côte Nord, Marcel y retournera pour finir sa vie laissant un certain vide à Pointe-au-Pic. Il y avait aussi Larue, Léo, Ti-Michel et Henri et tous les autres des autres villages et de l’hôpital de Baie-Saint-Paul que je ne connais malheureusement pas. On les a souvent utilisés comme « cheap labor »  pour des tâches plates à réaliser, personne n'y voyait du mal à l'époque, c’était comme ça à ce temps-là.

Je me souviens d'Henri qui venait chez mon grand-père qui était incapable de s'arrêter de manger qu'on appelle « hyperphagie » en termes savants.  De quoi souffraient ces personnes, y avait-il des autistes parmi eux? On pourrait certes mieux les diagnostiquer et les traiter aujourd'hui.

Moi, c'est avec tendresse que je me souviens. Ils avaient pour certains, des âmes d'enfants et c’est pourquoi nous avions des relations qu'on pourrait qualifier d'amitié avec plusieurs d'entre eux. Chacun était un personnage en soi, une sorte de gens qu'on oublie jamais à cause de leur différence.

La plupart des gens peuvent ressentir une gêne ou ne pas savoir quoi dire devant une personne avec une intelligence différente. Pas moi et non plus pour mes amis d’enfance à Pointe-au-Pic. Nous avons joué au pool avec Duguay, côtoyé Larue qui ramassait ses tops sur la rue Principale, fait un beau salut à Ti-Michel, s'informer de la job des Fleury.

Plus tard, ma blonde a fait du bénévolat chez ALTI alors qu'un nommé Jean Fortin était le principal intervenant, ce qui m’a permis de rencontrer d'autres personnes encore qualifiées d'attardés mentaux alors qu'on sait maintenant que plusieurs n'étaient pas plus attardés que vous ou moi.

Ti-Coune n’a pas grand-chose à voir avec eux. J'ai beaucoup appris avec ceux-ci , surtout que l'humanité est diversifiée et que certaines personnes ont un destin un peu différent du nôtre et qu'ils ont leur place dans la société. Personnellement j'ai appris à les aimer, à apprécier leurs différences et à sourire devant leur âme d'enfant. Il m'est très facile d’entrer en contact avec ces personnes aujourd'hui parce que je l'ai appris jeune. Je ne m'attends pas à de longue conversation, mais je sais qu'ils sont heureux et fiers lorsque des gens leur disent un bonjour, leur posent une question. Il faut être conscient et respecter leurs limites et ils peuvent partager avec vous des petits moments de bonheur. Peut-être un jour nous rendrons hommage à nos citoyens différents, pourquoi pas, par un monument à Baie-Saint-Paul où était concentré le plus grand nombre. Ils n'ont peut-être pas construit un Charlevoix matériel, mais ils ont touché notre cœur et pour ça, il faut les remercier.

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