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Moi mes souliers...

Jeu. 5 septembre 2019 5 minutes

Moi mes souliers...
Moi mes souliers...
Le soleil se lève doucement sur la petite ville de La Malbaie, nous sommes au début de juin 1960. Jean-Paul Bouchard, cordonnier d’expérience, entre dans sa cordonnerie comme il le fait depuis les 30 dernières années.

Dans son atelier annexé au salon de barbier du coin, il se prépare à ouvrir les portes pour accueillir sa fidèle clientèle. Monsieur Bouchard est très méthodique. Tout est bien placé, bien ordonné; chaque casier contient une paire de chaussures et le cordonnier sait à qui appartiennent chacune d’entre-elles.

C’est une ambiance chaleureuse qui accueille les clients qui viennent, en plus de faire réparer leurs chaussures, jaser, prendre des nouvelles et débattre d’enjeux politique. Messieurs Tremblay, Dufour et Harvey entrent dans la cordonnerie comme s’ils entraient chez un ami : ils fument leur pipe et discutent des élections à venir : qui gagnera les élections du 22 juin prochain ? L’Union Nationale d’Antonio Barette ou le Parti Libéral du Québec de Jean Lesage ?

C’est que dans cette cordonnerie, baigne une atmosphère presque figée dans le temps. On s’y sent bien. L’odeur du cuir, de la colle à chaussure, du tabac à pipe, flotte dans l’air. Une photo du frère André, patron des cordonniers, trône fièrement sur le mur d’entrée.

Le cordonnier d’expérience sort la soie de cochon et son ligneul et répare les chaussures usées qu’on lui apporte. Le petit Roger, 10 ans, vient à toutes les semaines porter le sac de chaussures brisées des enfants de l’orphelinat. En entrant, il est accueilli par l’homme au sourire contagieux : « Bonjour mon p’tit gars, qu’est-ce que ce que tu m’apportes aujourd’hui? » En tout, c’est près de 85 enfants qui vivent à l’orphelinat de La Malbaie. Le budget n’étant pas très gros, les chaussures ne pouvaient pas toutes être remplacées, on préférait plutôt les réparer pour sauver quelques sous.

  1. Bouchard est un artisan comme il ne s’en fait presque plus. Les cultivateurs du coin lui apportent le cuir nécessaire et le cordonnier s’affaire à leur fabriquer des bottes. Avec son couteau « Richard » il entaille le cuir avec une facilité déconcertante qui en découragerait plusieurs. Minutieux et attentionné, il fabrique des bottes solides qui dureront des années durant. Jusqu’en 1965, il les fabriquera complètement à la main.


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Les draveurs de Saint-Aimé-des-Lacs lui apportent leurs bottes. Le cordonnier habitué à la chose, met alors des clous sur le bout de celles-ci « pour avoir plus de pogne sur les billots de bois ! ».

Les chaussures étant plus dispendieuses, on ne pouvait pas toujours les changer pour en racheter des nouvelles, donc on les réparait pour pouvoir les garder longtemps, on pouvait même les teindre pour pouvoir suivre les différentes tendances de l’époque.

Le salaire n’est pas toujours au rendez-vous, beaucoup de familles de la région n’ont que très peu de sous et ont donc de la difficulté à payer M. Bouchard. L’homme qui a un cœur grand comme ça ne s’en fait pas. Quelques fois, un simple : « Que Dieu vous bénisse » lui suffit amplement comme salaire. Lors du décès d’une jeune mère de famille, les 6 enfants qui devaient se rendre aux funérailles de leur maman, n’avaient pas l’argent nécessaire pour s’acheter des chaussures noires comme le voulait la tradition. M. Bouchard prit leurs petits souliers et les teignit en noir, le tout gratuitement.

Le bon travail de Monsieur Bouchard est reconnu, tant et si bien qu’un soir, on frappe à la porte de sa maison. Qui peut bien venir à cette heure-ci ? Le cordonnier ouvre, un homme entre.

- Excusez-moi de vous déranger Monsieur, mais on m’a dit que vous pouviez m’aider. J’ai brisé mon sac de golf et je dois jouer demain au Murray Bay Golf, pourriez-vous m’aider ?

L’homme en question, est nul autre que le célèbre joueur de hockey Jean Béliveau ! Monsieur Bouchard va dans son atelier avec Monsieur Béliveau, trouve une solution au sac brisé, le raccommode en un rien de temps et rend le joueur de hockey très heureux !

Lorsque la mode était aux talons hauts, les femmes venaient faire poser des petits talons à leurs chaussures. « Ha pour ça j’en ai posé des petits talons ! » Il réparait aussi les poches de table de billard, les voiles de bateaux, les cordeaux et les guildes des chevaux, les patins à glace, pour ne nommer que ça. Le travail du cordonnier n’est pas redondant bien au contraire, il est aussi très gratifiant :  Une femme qui s’était acheté un beau manteau de fourrure, était trop petite pour la grandeur de celui-ci. Comme le tailleur du coin était fermé et que personne ne voulait toucher au manteau de fourrure de peur le briser, on l’apporta au cordonnier d’expérience. Il prit sa craie, traça une ligne bien droite et avec une précision exemplaire, coupa le manteau là où il le fallait. La dame, tellement heureuse du travail bien fait, remercia l’homme comme s’il était un véritable créateur de bonheur.

Aujourd’hui, monsieur Bouchard a 104 ans. Dans la résidence d’aînés de La Malbaie, il nous raconte encore avec passion ce métier qu’il a fait toute sa vie. Il se rappelle encore de tout, même du prix de sa machine à coudre qu’il a payé 2 500 $ en 1965 et dont la Caisse populaire de La Malbaie lui avait refusé le prêt, mais dont celle de Québec avait accepté.

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Son fils André (même prénom que le frère André, un hasard ?) vient le visiter à toutes les semaines. Celui-ci regarde son papa avec une grande fierté. Son père, c’était le cordonnier du village, mais dans son cœur c’était le meilleur cordonnier du monde !

Le métier de cordonnier, ce sont des petits défis à tous les jours, parce que toutes les chaussures sont différentes, mais comme le dit si bien M. Bouchard, c’est la débrouillardise qui développe l’intelligence !

Vous vous souvenez de Roger le petit orphelin du début ? Et bien vous pouvez aller le voir…à la cordonnerie du coin. Parce que c’est lui qui a prit la relève de la cordonnerie de La Malbaie. Parce que oui, encore aujourd’hui, vous pouvez faire réparer vos chaussures, votre manteau de cuir, votre sac à dos ou même aller vous acheter une belle ceinture solide ! Le cordonnier du village a encore sa place, même en 2019. Parce que réparer est souvent une meilleure option que de jeter….

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Crédit texte: Marilie Lapointe

Crédit photo: Élie Bédard

 

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